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L’histoire de la Méguila : une Providence millimétrée

Nous allons à présent faire un tour d’horizon de la Méguila, ce récit d’apparence anodine dont les rouages sont en fait parfaitement orchestrés par le plus grand Metteur en scène de sorte que toutes les solutions sont mises en place avant même les problèmes…

La punition de Vachti

Il est écrit que face à la désobéissance de Vachti, le roi consulta « les savants qui connaissent les temps ». Le Talmud nous explique qu’il s’agit des Sages du peuple juif, qui esquivèrent intelligemment la question, car s’ils lui conseillaient de tuer sa femme, le roi leur en voudrait par la suite. Ils prétextèrent donc qu’à cause de l’exil, ils n’étaient pas en mesure de répondre. Les Sages perses, par contre, calculèrent qu’en se débarrassant de la reine, ils pourraient y gagner s’il se mariait avec leur fille. Qui ne rêverait de devenir gendre du roi ?

Le monde est dirigé mesure pour mesure : Vachti avait fait de graves méfaits aux femmes juives, les contraignant à travailler le Chabbat et à contrevenir aux règles de la tsniout. C’est pourquoi la punition de Vachti est arrivée « le septième jour », un Chabbat.

Le roi, à la recherche d’une remplaçante, se prend d’amour pour Esther, qui a « trouvé grâce à ses yeux » et la couronne « à la place de Vachti » – pourquoi cette dernière précision ? Parce qu’on aurait pu prétendre qu’elle était reine comme Vachti, mais pas avec le même pouvoir ; c’est faux, elle avait la même puissance. 

Entrée en scène de nos héros

Dans la Méguila, rien n’a été laissé au hasard, et même les noms et qualificatifs sont lourds de sens. Ich yéhoudi, désignant Mordékhaï (Mardochée), vient souligner que quiconque renie l’idolâtrie mérite le titre de Juif. Mordékhaï est également désigné comme Ben Chimi (littéralement « fils de Chimi »), qu’est-ce ça veut dire ? Qu’Hachem écoute (choméa) ses prières. « Hadassa, c’est Esther », souligne le texte. Elle se nomme Esther, mais est surnommée Hadassa, en allusion au hadass (myrte), aux feuilles délicatement parfumées, plante comparée aux justes. Esther évoque le nistar, la dimension du secret, car elle a dévoilé ce qui est caché et grâce à son intervention, tout le monde a compris que D.ieu est le Maître du monde.

Pourquoi Esther est-elle qualifiée de « belle » (yéfat toar) et aussi « très belle à voir » (tovat maré) ? Le premier qualificatif désigne ses bonnes midot, ses qualités remarquables, mais elle avait aussi l’extériorité, la beauté apparente. Elle était dotée de la grâce, la distinction d’une reine, venant de la lignée royale de Chaoul.

D’ailleurs, on voit que quand Eliezer, le serviteur d’Avraham s’est mis à rechercher la conjointe destinée à Its’hak, il a mis l’accent dans ses recherches, sur les vertus. En Rivka, il a vu la bonté, la générosité.

Les rouages cachés d’un sauvetage anticipé

Un regard superficiel sur le scénario de la Méguila  peut donner l’impression erronée d’une série d’intrigues décousue, mais dès qu’on rentre dans les détails, apparaît le fil conducteur : la Providence divine précise et extraordinaire. Hachem prépare à chaque fois le remède avant la plaie : au moment où A’hachvéroch (Assuérus) veut faire venir Vachti dans le festin, Hachem a déjà conçu la Délivrance.

« Esther ne révéla pas son origine, son peuple et son pays d’origine », pourquoi ce silence ? Plusieurs explications sont envisagées. Selon l’une d’elles, à travers cet ordre, Mordékhaï espérait qu’Esther passerait pour une roturière, ce qui dissuaderait le roi de l’épouser. Rachi explique que le silence d’Esther laissait entendre qu’elle venait d’une lignée indigne d’un souverain.

Autre explication : Mordékhaï constata la Providence très particulière menant Esther à la place de première dame du pays, et comprit qu’Hachem était en train de préparer un grand remède pour le peuple juif. Mordékhaï savait que ses coreligionnaires avaient profité du festin de cet impie, et mérité leur punition. Toutefois, dans l’espoir qu’ils y échapperaient, il jugea opportun pour Esther de cacher son judaïsme ; peut-être que plus tard, elle pourrait intervenir en leur faveur…

Autre préparation à la délivrance : Mordékhaï siégeait en ces jours « aux portes du roi » lorsqu’il entendit Bigtan et Térech organiser un complot contre le roi, rapporté par Esther en son nom, de sorte que ce soit consigné dans les annales clairement, avant que le décret tombe. Hachem l’avait placé là à dessein !

Les évènements s’enchaînent de sorte à prévenir le mal : Vachti déjà partie en sacrifice, Esther est choisie, puis Mordékhaï mentionné dans les chroniques du roi. Il est clair que quelque chose de grand se prépare…

Examinons de plus près ce passage : « A cette époque, alors que Mordékhaï se tenait à la porte du roi, Bigtan et Térech, deux des eunuques du roi, préposés à la garde du seuil, conçurent un violent ressentiment (katsaf) et cherchèrent à attenter à la vie du roi Assuérus. »

Pourquoi est-il écrit katsaf au singulier et pas au pluriel ? On parle du roi du monde, le Talmud explique que Hachem a entraîné la colère d’A’hachvéroch sur ses serviteurs Bigtan et Térech, de sorte qu’ils veuillent se venger, préparant le remède, la sortie de secours avant le danger.

« À la suite de ces évènements, le roi A’hachvéroch éleva Haman (…) et lui attribua un siège au-dessus de tous » : la Guémara explique qu’Hachem a mis en place tout le scénario futur avant même que Haman accède à la grandeur.

Les Hébreux avaient profité du banquet royal, alors pourquoi ne pas les punir tout de suite ? C’est vrai qu’ils ont mal agi, mais Hachem a été patient. Peut-être pouvaient-ils se repentir et c’est pourquoi Hachem a anticipé le remède.

Quand A’hachvéroch termina de cuver son vin et demanda où était sa femme, on lui dit : « Votre Majesté l’a fait mettre à mort ». En entendant cela, il voulut faire exécuter ses sept ministres. Or, l’un d’entre eux est Mémoukhan, alias Haman. Rav Kanievsky explique : « Mémoukhan prétendit qu’il ne faisait pas partie de ce conseil, mais seulement les six autres. » Le roi craignit alors, s’il l’épargnait, qu’une révolte s’ensuive. C’est pourquoi le nom de Mémoukhan fut alors changé en Haman, ce qui lui permit d’échapper au décret.

Autre préparation à la délivrance : Mordékhaï ne voulait pas se prosterner devant Haman. « Tu sais qu’il est coléreux, le mit-on en garde, ne l’énerve pas ! Te crois-tu supérieur à Yaakov qui s’est prosterné devant Essav ?! » Mais Mordékhaï est resté inébranlable, fort dans sa compréhension, sa vision des choses ; il refusait de donner la moindre force aux puissances du mal.

Il est aussi écrit dans la Méguila : « Mais il jugea indigne de lui de s’en prendre au seul Mordékhaï, car on lui avait appris le peuple de Mordékhaï » puis « Haman voulut tuer tous les juifs dans tout le royaume d’A’hachvéroch, le peuple de Mordékhaï ». Pourquoi l’expression « le peuple de Mordékhaï » est-elle employée à deux reprises ? La haine de Haman envers cet homme qui refuse de s’incliner devant lui est telle qu’il ne veut pas se contenter de tuer Mordékhaï, mais veut anéantir tout son peuple, pour mieux l’atteindre.

C’est là la cause profonde de cette volonté de génocide, de ce « peuple entier, disséminé ». Comme il l’argua devant le roi, « ces gens ne mangent pas ce qu’on prépare, annulent ce qu’on fait, ne respectent pas le roi, le méprisent pas leur comportement. En effet, si une mouche tombe dans leur verre, ils la retirent et le boivent, tandis que si vous le touchez seulement, ils ne le boivent pas… » On voit combien Haman était rusé dans cette manière de présenter les faits.

Il est mentionné que Haman donna la somme de 10 000 kikar, au singulier, comme si c’était une seule pièce de monnaie, car il avait une telle haine que cette somme colossale n’était rien pour lui.

C’est là qu’intervint un autre détail significatif : le roi passa sa bague, son sceau, à Haman. La Guémara souligne que ce geste avaient encore plus de poids que l’argent reçu d’Haman. Rien de tel pour leur faire prendre peur et se remettre en question. Tous ont alors commencé à faire hitbodédout, téchouva, en un mot sont devenus Breslev :)…

Mordékhaï et Esther : les agents de la Providence

« Mordékhaï savait tout ce qui se passait », est-il précisé. En quoi est-ce inédit ? L’édit royal avait été publié partout. En fait, Rachi explique que sa connaissance des faits allait bien plus loin : en rêve, on lui révéla que le décret avait été accepté dans le Ciel parce que les Hébreux s’étaient prosternés devant une idole. Mordékhaï comprit pourquoi le pouvoir avait été donné à Haman de faire tout ce qu’il voulait, et se mit en deuil.

S’ensuivit une discussion entre Mordékhaï et Esther, où Esther demande à Mordékhaï de retirer son linceul. Comme si Esther voulait lui rappeler l’enseignement de Rabbi Na’hman : dans les moments difficiles, le seul remède est de se réjouir 🙂 !

Puis la reine passe à l’action : « Esther s’est revêtue de royauté », nous apprend le verset. S’il s’agit certainement des vêtements royaux dont elle s’est parée, cela évoque également le fait qu’elle s’est habillée de l’esprit divin, niveau de prophétie exceptionnel. En cette étape marquant le début de la délivrance, elle dit à Mordékhaï : « Va rassembler tout le peuple d’Israël ! » Sous l’effet de cette inspiration prophétique, Esther comprit que le décret était intervenu du fait de la désunion. En effet, même si tout n’est pas parfait, tant qu’il y a l’unité sans controverses, Hachem peut délivrer.

C’est ainsi qu’à l’époque du roi David, les guerres pouvaient être marquées de pertes, car même s’ils étaient de très grands justes, ils médisaient les uns des autres. Alors que quand notre peuple est uni, même s’il se rend coupable de fautes très graves, comme l’idolâtrie, nos ennemis sont impuissants contre nous.

Au cours du festin, A’hachvéroch s’adressa à Esther : « ma chéélatekh ouma bakachatekh ? Quelle est ta demande et quelle est ta requête ? » Cette insistance, à deux reprises, souligne combien ce moment du festin est un moment extrêmement favorable pour faire toute demande, à notre époque également.

Esther répondit : « Que le roi vienne, et Haman » écrit à trois reprises, pourquoi au singulier et pas au pluriel (« Que le roi et Haman viennent ! »), ils sont deux ?! C’est qu’A’hachvéroch et Haman avaient une unité de pensée. Il ne s’agissait pas d’un seul impie, mais de deux mécréants animés d’une même volonté d’anéantir notre peuple.

À ce sujet, on peut se demander la raison de cette double invitation d’Esther – qui plus est deux jours d’affilée !

Plusieurs raisons sont données par nos Sages. L’une d’entre elles pour éviter que le peuple se dise : « C’est bon, la reine est de chez nous, notre sœur juive est dans le palais royal », mais en voyant qu’en dépit du décret planant sur eux, elle festoyait avec les pires ennemis du peuple juif, ils s’écrièrent, désespérés : « Elle nous a tourné le dos ! » et pleurèrent toute la nuit, réalisant qu’ils étaient perdus !

Mais pourquoi une deuxième fois ? Esther se dit : « Comme ça le roi, nous soupçonnant, moi et Haman, d’entretenir une relation coupable, nous tuera tous les deux dans sa colère ! » Quel dévouement ! Esther était prête à donner sa vie pour son peuple, pourvu qu’Haman meure !

La reine Esther avait auparavant accepté, sur la demande de Mordékhaï, d’aller trouver le roi pour sauver son peuple. D’après les règles en vigueur, toute personne, même la reine, se présentant sans invitation devant le tyran, était passible de mort. De même, le jour de Pourim, on peut tous voir le Roi, alors que dans l’année, d’après les règles du « protocole », il faut se repentir, faire téchouva. Là, même sans les règles, quoi que tu aies pu faire, même si des accusations très fortes pèsent contre toi, les portes sont ouvertes !

Le jeûne de trois jours, dont Esther prit l’initiative, a démarré le jour de Pessa’h, si bien que les Juifs n’ont pas fait le séder. Face au danger, en proie aux souffrances, ils ont enfin écouté Mordékhaï, alors qu’à l’époque, ils avaient participé au festin en dépit des mises en garde de leur guide spirituel. Entourés d’affiches annonçant leur future extermination, les Hébreux se sont enfin repris.

En fait, le jour du premier banquet offert par Esther, qui s’est conclu par la préparation de l’arbre où sera pendu Haman (à la place de Mordékhaï), ce dernier était au comble de la joie, si bien qu’Esther, consciente de ne rien pouvoir contre lui dans cet état d’esprit, l’a réinvité le lendemain.

Toute la nuit, Esther fit 6 heures de hitbodédout, priant pour que cet implacable ennemi des Juifs perde sa joie 🙂

Effectivement, Haman ne put dormir de la nuit malgré le vin bu. Ses proches et sa femme, mis au courant des derniers évènements, auraient logiquement dû lui conseiller d’aller dormir et d’attendre tranquillement le lendemain pour aller trouver le roi. Mais il n’attendit pas sa prochaine rencontre avec le roi, impatience qui s’est retournée contre lui, puisqu’elle entraîna son humiliation devant Mordékhaï. Le lendemain, suite à ses mésaventures, il arriva tout triste au festin de la reine, qui, en le voyant, comprit que le vent avait tourné en sa faveur.

Mais revenons sur ce renversement de situation : alors qu’Haman s’apprête à demander au roi la mise à mort de son pire ennemi, celui-ci, qui vient de découvrir, à l’issue d’une nuit blanche, que Mordékhaï n’a jamais été récompensé, entend des pas dans la cour. Qui est là ? demande-t-il. Haman est introduit. Réfléchissons : Si Haman était arrivé quelques instants plus tôt et avait entendu lire l’histoire de Mordékhaï, il aurait su qu’A’hachvéroch voulait le récompenser. Ainsi, les évènements s’enchaînent avec une précision à la seconde près.

Sur les conseils d’Haman, croyant à tort que le roi voulait le récompenser, Haman va devoir promener Mordékhaï sur la monture du roi dans les rues de la capitale Suse. Haman, cherchant à esquiver, suggéra de le faire dans un village éloigné, mais le roi protesta : « Non, agis selon toutes tes suggestions ! » Haman commençait à s’embourber, le vent de la Providence avait tourné.

À première vue, la Méguila d’Esther semble une histoire parmi tant d’autres, mais dès qu’on approfondit, on découvre une Providence précise dans les moindres détails ! Providence qui, si l’on est attentif, tisse dans les moindres détails la trame de l’Histoire mais aussi celle de nos existences. A nous d’apprendre à la lire !

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