Conte n°11 – Le fils du Roi et le fils de la Servante

Il était une fois un roi. Chez lui, vivait une servante de la reine. (Il est probable qu’une cuisinière ne saurait être admise chez le roi ; cette servante devait avoir quelque autre tâche mineure). Arriva l’heure où la reine dut accoucher. Au même moment, la servante dut, elle aussi, mettre son enfant au monde. La sage-femme échangea les enfants pour voir ce qui allait advenir de tout cela. Elle prit l’enfant du roi et le coucha à côté de la servante ; quant à l’enfant de la servante, elle le coucha à côté de la reine.

Les enfants grandirent. Le ” fils du roi ” (celui qui avait été élevé chez le roi et que l’on pensait être son fils) fut promu à des fonctions de plus en plus hautes et devint quelqu’un de très important et de très efficient. Le ” fils de la servante ” (celui qui avait été élevé chez la servante mais qui était en vérité le véritable fils du roi) grandit aussi. Les deux enfants étudiaient ensemble au ‘héder. De par sa nature, le véritable fils du roi tendait vers un comportement royal, mais il était élevé chez la servante. A l’opposé, le fils de la servante était poussé par sa nature vers des attitudes non royales, mais étant élevé chez le souverain il devait se conduire conformément au protocole de la royauté et ne pouvait s’y soustraire.

Etant donné que ” les femmes ont l’esprit léger ” (Shabbat 33b) et qu’elles ne peuvent rien taire, la sage-femme dévoila le secret à quelqu’un : elle avait échangé les enfants. ” Chaque homme a un ami, et ce dernier a un autre ami. ” (Ketoubot 109b). Ainsi, un homme révéla le secret à un autre homme… et le celui-ci fut connu, comme cela se produit à chaque fois. Les gens finirent par dire à mots couverts que le fils du roi avait été échangé. On ne pouvait pas en parler ouvertement, afin que le roi n’en sût rien. D’ailleurs, que pouvait-il faire ? Il ne pouvait pas rétablir l’ordre des choses. Il pouvait ne pas croire à tout cela, penser que c’était un mensonge. D’autre part, comment revenir en arrière et faire l’échange en sens inverse ?
On ne pouvait vraiment pas évoquer ouvertement cette affaire en présence du roi, mais cela n’empêchaient pas les gens d’en parler entre eux.

Un jour, quelqu’un dévoila le secret au ” fils du roi ” : on disait qu’il avait été échangé. ” Mais tu ne peux enquêter sur cette affaire, ce ne serait pas digne de toi. De toute façon, comment rétablir l’ordre des choses ? Je te raconte tout cela seulement pour que tu le saches. Un jour, il y aura peut-être un complot contre la monarchie ; il risquerait de devenir plus dangereux si cette affaire était connue. Les conjurés pourront dire qu’ils prennent pour nouveau roi celui dont on dit qu’il est son vrai fils. Par conséquent, veille à te débarrasser de ce jeune homme. ” Tels furent les mots de celui qui parla au ” fils du roi ” lequel était en vérité le fils de la servante.
Le ” fils du roi ” commença à comploter contre le mari de la servante (qui était en vérité son propre père) et s’arrangea pour que des ennuis l’assaillent sans cesse. Il lui infligeait les pires tourments afin de le forcer à partir et à s’exiler avec son ” fils “. Aussi longtemps que le roi vécut, ” son fils ” n’eut pas grand pouvoir ; mais lorsque le vieux monarque décéda, et qu’il hérita du royaume, il tourmenta le mari de la servante de plus belle. Il agissait toujours en secret, afin que l’on n’ignore que cela venait de lui, car il n’avait aucun intérêt à ce que la chose fût connue. Il lui infligea donc les pires misères. L’homme que l’on tourmentait continuellement pour qu’il chasse son ” fils “, comprit que c’était à cause de l’affaire des enfants échangés. Il appela ce dernier et lui raconta toute l’histoire. Puis il lui dit : ” J’éprouve une grande pitié pour toi quelle que soit ton identité : si tu es mon fils, j’ai pitié de toi ; si tu n’es pas mon fils mais le vrai fils du roi, j’ai encore plus pitié de toi. En effet, celui qui a hérité du royaume veut causer ta perte, à Dieu ne plaise. Par conséquent, tu dois t’enfuir. ” Il se sentit très misérable et malheureux. Cependant, le roi le persécutait sans relâche. Le fils du roi décida donc de s’enfuir. Le père lui donna une grosse somme d’argent et il partit. Il était triste de quitter son pays pour rien et examina sa situation sous tous les angles : ” En quoi ai-je mérité d’être banni ? Si je suis le fils du roi, je ne mérite pas l’exil ; si je ne suis pas le fils du roi, je ne mérite pas non plus d’être un fugitif sans raison. En quoi suis-je coupable ?” Il était si triste qu’il se mit à boire et à fréquenter les maisons de prostitution. Ainsi voulait-il vivre : se soûler et suivre les désirs de son c ur , parce qu’il avait été exilé sans motif.

Le roi (le faux prince qui avait été échangé et qui avait accédé au trône) dirigeait son royaume avec force. Lorsqu’on lui rapportait que quelqu’un évoquait l’affaire de l’échange des deux enfants, il se vengeait en le faisant punir et en le torturant. Il gouvernait d’une main de fer

Un jour, le roi partit chasser des bêtes sauvages en compagnie de ses ministres. Il arriva dans un endroit magnifique où coulait une rivière. Les ministres s’installèrent pour se reposer et lui partit se promener. Puis il s’allongea et tous ces actes lui revinrent à l’esprit : il avait exilé le jeune homme sans

raison ; en effet, si d’une part il était le fils du roi et s’il avait vraiment été échangé, pourquoi l’avait-il obligé à partir sans raison ? D’autre part, s’il n’était pas le fils du roi, il ne méritait pas l’exil, car en quoi avait-il péché ? Le roi médita beaucoup sur cette affaire et fut pris de remords à cause du péché et de l’injustice qu’il avait commis. Il ne savait que faire. Il ne pouvait en parler à personne afin de lui demander conseil (on a honte de parler de ces choses-là à autrui). Il resta soucieux et anxieux. Il dit à ses ministres qu’ils allaient rentrer, car il n’avait plus envie de se promener, tant il était préoccupé. Ils rentrèrent et le roi eut beaucoup d’affaires à régler. Il fut très affairé et toute l’histoire disparut de ses préoccupations.

Le vrai fils du roi, que l’on avait forcé à partir et qui avait fait ce qu’il avait fait, dépensa tout son argent. Un jour, il alla se promener seul et s’allongea. Toute son aventure lui revint à l’esprit et il se dit : ” Comment Dieu a-t-il agi envers moi ? Si je suis le fils du roi, je ne mérite pas tout cela, et si je ne suis pas le fils du roi, il n’y a aucune raison que je vive en fugitif et en exilé. ” Il se calma et pensa : ” Ai-je eu raison d’agir de la sorte ? Convient-il à mon rang de me conduire ainsi ? ” Il fut très triste et pris de remords à cause de ses mauvaises actions. Puis il retourna là où il vivait et se remit à boire. Cependant, il avait des remords et était mal à l’aise à cause des regrets et du repentir qui le préoccupaient constamment.

Un jour qu’il était couché, il rêva qu’une foire se tenait tel jour en un certain endroit. Il devait s’y rendre et saisir la première occasion qui s’offrirait à lui, même si cela était au-dessous de sa condition. Lorsqu’il se réveilla, le songe occupait toujours ses pensées. Il arrive parfois qu’une chose sorte immédiatement de la tête, mais ce ne fut pas le cas de son rêve. Pourtant il lui était difficile de faire ce qu’on lui avait dit. Il se remit à boire et fit plusieurs fois ce même rêve qui le tracassait beaucoup. Un jour, on lui dit en songe : ” Si tu as pitié de toi-même, va à la foire.” Il dut obéir. Il décida de laisser tout l’argent qui lui restait dans l’auberge où il vivait ; il abandonna aussi ses beaux vêtements, et choisit une simple blouse de marchand. Il se rendit dans la ville où se tenait la foire. S’étant levé tôt, il s’y rendit. Un marchand l’aborda et lui demanda :

– Veux-tu gagner quelque chose ?
- Oui, répondit-il.
- Je dois conduire un troupeau, et je t’engage.
Il n’eut pas le temps de réfléchir à cette offre, à cause du rêve, et donna aussitôt son accord
Il fut engagé par le marchand qui lui donna des ordres, comme un maître agit à l’égard de ses serviteurs. Le jeune homme commença à réfléchir à ce qu’il faisait là, car étant de nature délicate, il pensait que ce genre de travail était au-dessous de lui. Et voilà qu’il devait conduire un troupeau, aller à pied à côté d’animaux. Mais il était trop tard pour les regrets. Le marchand lui donnait des ordres comme un seigneur. Il demanda à ce dernier :
- Comment vais-je conduire le troupeau tout seul ?
- J’ai d’autres meneurs de troupeau, tu iras avec eux.
Il lui confia quelques bêtes. Il les conduisit en dehors de la ville, à l’endroit où se trouvaient les autres conducteurs. Ils partirent tous ensemble et il conduisit son troupeau. Le marchand les accompagnait à cheval. Il agissait avec cruauté, surtout à l’égard du jeune homme lequel redoutait fort cet homme impitoyable. Il craignait de mourir si le marchand le frappait de coups de bâton (le fils du roi, de nature très délicate, prenait peur chaque fois qu’il pensait au marchand). Il conduisait donc le troupeau et le marchand les accompagnait.

Ils atteignirent un endroit ; on sortit d’un sac le pain destiné aux conducteurs du troupeau, et on leur en donna. On en donna aussi au jeune homme et il mangea. Puis, ils repartirent et traversèrent une épaisse forêt. Deux des bêtes dont le jeune homme avait la charge s’y égarèrent. Le marchand invectiva le jeune homme qui partit les rattraper. Les bêtes avancèrent plus loin et il les pourchassa. Dès qu’il fut entré dans l’épaisseur de la forêt, les autres conducteurs ne parvinrent plus à le voir. Le jeune homme marcha à la poursuite de ses bêtes égarées. Il les pourchassa longtemps, toujours plus loin, jusqu’au plus profond de la forêt. Il se dit : ” Quoi qu’il arrive, je vais mourir (à cause de la terreur qu’il éprouvait à l’égard du marchand, il pensait que ce dernier allait le tuer s’il revenait sans ses bêtes). Si je reste ici, les bêtes sauvages de la forêt vont me dévorer. Mais pourquoi retournerais-je auprès du marchand ? Et Comment revenir sans les bêtes ? ” Il eut très peur. Il reprit donc sa route et poursuivit les bêtes qui s’éloignaient toujours davantage.

La nuit tomba. Jamais il n’avait été confronté à pareille situation : être obligé de passer la nuit seul dans une forêt. Il entendit le rugissement des bêtes sauvages qui criaient selon leur habitude. Il décida de grimper en haut d’un arbre et y passa la nuit. Il entendit encore les mêmes cris. Le matin venu, il regarda autour de lui et vit que ses bêtes se tenaient tout près. Il descendit de l’arbre pour les attraper mais elles s’enfuirent et il les pourchassa. Elles coururent plus loin et trouvèrent de l’herbe à

manger. Elles s’arrêtèrent et broutèrent. Il s’avança pour les attraper mais elles s’enfuirent aussitôt. Chaque fois qu’il faisait un pas, elles s’éloignaient davantage. Il arriva au c ur de la forêt, là où vivent les bêtes sauvages qui ne redoutent pas les hommes car elles vivent loin de leurs habitations.
La nuit tomba une nouvelle fois et il entendit hurler les animaux sauvages. Il eut grande peur. Apercevant près de lui un arbre très haut, il y grimpa. Lorsqu’il arriva en haut, il trouva un homme et s’effraya. Ils se demandèrent l’un à l’autre :

– Qui es-tu ?
- Un homme. Et toi ?
- Un homme.
- Comment es-tu arrivé ici ?
Il ne voulait pas lui raconter tout ce qui lui était arrivé et il répondit :
- A cause des bêtes que je surveillais. Deux d’entre elles sont venues jusqu’ici et c’est la raison pour laquelle je m’y trouve. Et toi, comment es-tu arrivé ici ?
- Je suis arrivé ici à cause d’un cheval. J’étais sur mon cheval et je voulus me reposer. Le cheval s’est enfui dans la forêt, j’ai couru après lui pour le rattraper et il est parti encore plus loin, je suis donc arrivé ici.
Ils décidèrent d’un commun accord de rester ensemble. Ils conclurent de rester l’un avec l’autre s’ils arrivaient dans un endroit habité. Ils passèrent tous les deux la nuit dans l’arbre. Ils entendirent les bêtes sauvages qui criaient et rugissaient. Vers le matin, le jeune homme entendit un rire énorme, si fort qu’il se répercutait dans toute la forêt. Il faisait même trembler l’arbre. Il fut terrifié par le bruit. Son compagnon lui dit alors :
- Je n’ai plus peur de ce bruit, car j’ai passé plusieurs nuits ici et c’est comme cela à chaque fois. A l’approche du jour on entend ce bruit, et les arbres en sont secoués et tremblent.
- Il semblerait que cet endroit soit celui des démons, car dans les endroits habités de tels rires ne se font pas entendre. Qui a jamais entendu un rire si puissant ?
Soudain, le jour se leva. Ils regardèrent autour d’eux et s’aperçurent que le cheval et les bêtes étaient là. Ils descendirent de l’arbre et se lancèrent à leur poursuite. L’un courait après son cheval, l’autre après ses bêtes. Celles-ci partirent plus loin et il les suivit. Le cheval s’enfuit plus loin aussi et l’homme le suivit. Le jeune homme et son compagnon s’éloignèrent l’un de l’autre et ne se virent plus.
Puis le jeune homme trouva un sac rempli de pain, ce qui était étonnant dans un endroit désert. Il chargea le sac sur son épaule et repartit à la poursuite de ses bêtes. Il rencontra un autre homme. Il eut d’abord peur puis se réjouit de cette présence humaine. L’homme lui demanda :
- Que fais-tu ici ?
- Et toi, que fais-tu ici ? demanda-t-il à son tour.
- Moi ? Mes parents et les parents de mes parents ont vécu ici. Mais toi, que fais-tu ici ? Personne n’est jamais venu dans cet endroit.
Le jeune homme prit peur, car il comprit que l’autre n’était pas un être humain. Il disait que ses parents avaient vécu ici, mais qu’aucun homme n’était jamais parvenu jusqu’à cet endroit. Il était clair que ce n’était pas un être humain. Cependant il ne lui avait rien fait et il était aimable avec lui (l’homme de la forêt ne lui avait fait aucun mal). Ce dernier répéta :
- Que fais-tu ici ?
- Je coure après mes bêtes.
- Cesse de courir après tes péchés, car ce ne sont pas des bêtes, mais seulement tes péchés qui te font courir ainsi. Assez ! Tu as reçu ta punition. Cesse de les poursuivre ! Viens avec moi, tu atteindras ton but.
Il partit avec lui. Il craignait de lui parler et de lui poser des questions ; peut-être que ce genre d’individu pouvait ouvrir sa bouche et l’engloutir. Il le suivit donc, et il rencontra son ami qui courait après son cheval. Il lui fit un signe pour l’avertir que celui qu’il suivait n’était pas un être humain et qu’il ne devait pas avoir affaire avec lui car ce n’était pas un homme. Mais celui qui courait après son cheval remarqua que le jeune homme portait un sac de pain sur l’épaule. Il l’implora :
- Mon frère, je n’ai pas mangé depuis si longtemps. Donne-moi du pain !
- Dans cet endroit désert, pas question ! Ma vie est précieuse, j’ai besoin de ce pain.
- Je te donnerai n’importe quoi, le supplia l’autre.
(Mais dans la forêt, aucun cadeau ne passe avant le pain).
- Que peux-tu me donner en échange du pain, dans cet endroit désert ?
- Je me mets à ton service, je me vends comme serviteur, comme esclave contre du pain.
Le jeune homme se dit qu’acheter un homme valait bien qu’on lui donnât du pain. Il l’acheta comme serviteur à vie et le fit jurer de le servir pour toujours même s’ils arrivaient dans un endroit habité.
Puis il lui donna du pain et ils mangèrent tous les deux, jusqu’à ce qu’il n’en restât plus. Enfin ils se mirent en route et suivirent l’homme de la forêt, l’un derrière l’autre. Le jeune homme se sentait plus à

l’aise depuis qu’il disposait d’un serviteur. S’il devait ramasser une chose ou en faire une autre, il ordonnait lui de l’accomplir à sa place. Ils suivaient l’homme de la forêt et atteignirent un endroit qui grouillait de serpents et de scorpions. Le jeune homme prit peur et demanda à l’homme de la forêt : – Comment allons-nous passer ?

– S’il n’y avait que cela ! Mais comment vas-tu entrer dans ma maison ?
Et il lui montra sa maison laquelle était suspendue dans les airs. Ils suivirent l’homme de la forêt qui les fit passer sains et saufs et les fit entrer chez lui. Il leur donna de quoi boire et manger et repartit. Le jeune homme ordonna à son serviteur de faire ce qu’il exigeait de lui et l’autre regretta de s’être vendu comme esclave, à cause d’un seul moment où il avait eu besoin de manger du pain. A présent, il avait à manger, et à cause d’un seul instant, il se retrouvait esclave à vie. Il poussa un gros soupir et dit :
- Où en suis-je arrivé ? Me voilà esclave !
- Quelle était donc ta grandeur passée pour que tu pleures ainsi sur ton sort actuel ?
Il lui répondit en lui racontant qu’il avait été roi, qu’on avait dit de lui qu’il avait été échangé à la naissance et qu’il avait forcé son ami à partir. Un jour, pensant qu’il avait mal agi, il eut des remords. A cause de la mauvaise action et de la grande injustice commises envers son ami, il vivait constamment dans le remords. Une fois, il rêva que son remède consistait à se débarrasser du royaume et à se rendre là où ses yeux le conduiraient. Ainsi, il réparerait son péché. Il ne voulut pas agir de la sorte, mais ses rêves le hantaient et le harcelaient tant qu’il finit par leur céder. Il abandonna la royauté et erra un peu partout avant d’aboutir ici. A présent, il devait être esclave.
Le jeune homme l’écouta sans prononcer un mot et se dit :
- Désormais, je sais comment me conduire avec toi.
L’homme de la forêt revint à la nuit tombée, leur donna à manger, à boire, et ils passèrent la nuit chez lui. Vers le matin, ils entendirent l’énorme rire qui fit trembler les arbres et les brisa tous. Alors, le serviteur poussa le jeune homme à demander à l’homme de la forêt ce qui se passait. Le jeune homme questionna :
- Quel est ce rire puissant que l’on entend à l’approche du jour ?
- C’est le jour qui se moque de la nuit, car celle-ci demande au jour : ” Pourquoi, lorsque tu arrives, n’ai-je pas de nom ? ” Alors le jour éclate de rire et luit. Voilà le rire que l’on entend à l’approche du jour.
Ce fut une grande merveille pour le jeune homme que le jour se moquât de la nuit. Mais il ne put poser d’autres questions, à cause de la façon dont l’autre lui répondait.

Le matin venu, l’homme de la forêt repartit. Ils mangèrent et burent. Le soir, il revint. Ils mangèrent, burent et passèrent la nuit chez lui. Cette nuit-là, ils entendirent les bêtes sauvages crier et rugir sauvagement. Le lion rugissait, le léopard feulait et chaque bête poussait un cri différent. Les oiseaux gazouillaient et chantaient, chacun à leur manière. Le jeune homme et son serviteur eurent peur et n’écoutèrent pas attentivement les sons à cause de leur effroi. Puis ils tendirent l’oreille, écoutèrent avec soin et entendirent une mélodie. Les bêtes entonnaient un air d’une grande beauté. Ils écoutèrent encore plus attentivement et entendirent cet air extraordinairement beau, une pure merveille. On éprouvait un grand plaisir à l’écouter ; en effet, comparés à elle tous les délices du monde ne valaient rien, tant cette merveilleuse mélodie procurait de plaisir à qui l’entendait.

Ils décidèrent de rester chez l’homme de la forêt, car ils y avaient à manger, à boire ainsi qu’un plaisir si merveilleux qu’aucun autre n’égalait. Le serviteur poussa son maître à demander à l’homme de la forêt de quoi il s’agissait. Le jeune homme l’interrogea et l’autre répondit :
- Le soleil a fabriqué un vêtement pour la lune. Toutes les bêtes de la forêt ont crié que la lune les comblait de bienfaits, car l’essentiel de la puissance des bêtes sauvages se manifeste la nuit. En effet, elles doivent parfois se rendre jusqu’à des endroits habités et ne peuvent le faire de jour. C’est durant la nuit que leur pouvoir est le plus grand. Alors, la lune leur accorde une immense faveur, car elle brille pour elles. Ainsi, elles se sont toutes mises d’accord pour composer une nouvelle mélodie en l’honneur de la lune, et c’est cet air que vous entendez.

Lorsqu’ils surent que c’était une mélodie, ils l’écoutèrent avec beaucoup d’attention et se rendirent compte de sa merveilleuse et sublime douceur. L’homme de la forêt ajouta :
- Cela vous étonne ? Figurez-vous que j’ai reçu de mes parents un instrument de musique fait avec certains matériaux, certaines feuilles et certaines couleurs. Grâce à cela, lorsqu’on le prend et qu’on le pose sur quelque animal, y compris un oiseau, il se met aussitôt à jouer cette mélodie.

Puis le rire se fit à nouveau entendre ; ce fut le jour et l’homme de la forêt repartit. Le jeune homme se mit à la recherche de l’instrument. Il fouilla toute la pièce, mais en vain et eut peur d’aller plus avant. Lui et son serviteur craignaient de demander à l’homme de la forêt de les conduire dans quelque endroit habité. L’homme de la forêt revint et leur annonça qu’il allait les y conduire. Il les emmena, prit l’instrument de musique et l’offrit au vrai fils du roi, en disant :

– Je te fais cadeau de l’instrument. Tu sauras comment agir avec ton serviteur.
- Où irons-nous ? lui demandèrent-ils.
Il leur répondit de demander le chemin d’un pays appelé : ” Le Sot Pays et le Sage Gouvernement “. – Par quel côté allons-nous commencer à demander le chemin de ce pays ?
- Par là, indiqua-t-il du doigt. Puis il dit au vrai fils du roi : Va dans ce pays et là-bas tu recouvreras ta grandeur.
Ils partirent.

En chemin, ils eurent très envie de trouver quelque animal pour tester l’instrument et voir s’il allait jouer. Mais ils n’en rencontrèrent pas. Ils pénétrèrent dans une contrée habitée et trouvèrent un animal. Ils posèrent l’instrument sur son dos et l’instrument se mit à jouer la mélodie. Ils marchèrent longtemps et atteignirent le pays. Entouré d’une muraille, on ne pouvait y pénétrer que par une seule porte. Il fallait longer la muraille sur de nombreux milles pour atteindre la porte. Ils firent le tour de l’enceinte et arrivèrent à la porte. Lorsqu’ils s’y présentèrent, on ne voulut pas les laisser entrer, car le roi du pays était mort et seul restait le prince. Le roi avait stipulé dans son testament que le pays appelé jusqu’à présent ” Le Sot Pays et le Sage Gouvernement “porterait désormais le nom inverse ” Le Sage Pays et le Sot Gouvernement “. Quiconque réussirait à rendre au pays son nom d’origine, ” Le Sot Pays et le Sage Gouvernement “, mériterait d’y régner. Voilà pourquoi on ne laissait entrer personne dans le pays, sauf quiconque serait susceptible de lui restituer son nom d’origine. On demanda au jeune homme :

– En es-tu capable ? Peux-tu rendre au pays son nom d’autrefois ?
Sûrement n’en était-il pas capable. Ils ne purent donc pas entrer. Le serviteur essaya de persuader son maître de rentrer chez eux. Mais le jeune homme refusait de rebrousser chemin, car l’homme de la forêt l’avait assuré qu’en se rendant dans ce pays il recouvrerait sa grandeur.

Pendant ce temps, un homme à cheval voulut entrer. On s’y opposa pour la même raison. Le jeune homme aperçut la monture de cet homme. Il se dirigea vers elle, l’instrument de musique en main. Il le posa sur le cheval et l’instrument se mit à jouer la merveilleuse mélodie. L’homme au cheval lui demanda de lui vendre l’instrument. Il refusa et répondit :

– Que peux-tu me donner en échange d’un instrument si merveilleux ?
- Que sais-tu faire avec cet instrument ? Tout au plus feras-tu quelques tours et gagneras-tu quelque argent. Moi, je peux faire bien mieux que ton instrument. Je sais une chose que j’ai reçue des parents de mes parents : je sais être expert en raisonnement. Grâce à cette chose héritée de mes grands- parents, on peut devenir expert en raisonnement, et donc comprendre une chose à partir d’une autre. Lorsque quelqu’un dit quelque chose, on peut en déduire une seconde. Et ce savoir dont j’ai hérité, je ne l’ai dévoilé à personne au monde. Je vais te l’enseigner et tu me donneras l’instrument en échange.
Le jeune homme se dit qu’être expert en raisonnement était vraiment d’extraordinaire. Il lui céda l’instrument et l’autre lui enseigna son savoir. Devenu expert dans l’art de raisonner, le vrai fils du roi retourna à la porte du pays et comprit qu’il lui serait désormais possible grâce à cela, d’entreprendre de rendre au pays son nom d’origine. Il sut que c’était possible mais ignorait comment. Pourtant, grâce à son savoir dans l’art du raisonnement il comprit qu’il le pouvait. Il décida d’ordonner qu’on le laissât entrer ; alors, il entreprendrait de restituer au pays son premier nom. Qu’avait-il à perdre ? Il demanda aux hommes qui lui avaient d’abord barré l’accès de le laisser pénétrer et leur dit son intention. On le fit entrer et on annonça aux ministres qu’un homme s’était présenté pour entreprendre de redonner au pays son appellation première. On l’amena devant les ministres, qui lui dirent :
- Tu dois savoir que nous ne sommes pas des sots, à Dieu ne plaise. Mais le roi qui régnait ici était un sage extraordinaire ; comparés à lui, nous ne sommes que des idiots. C’est pourquoi ce pays s’appelait ” Le Sot Pays et le Sage Gouvernement “. Le roi mourut et. il ne resta que son fils. Le prince aussi est un sage ; mais à côté de nous, ce n’est qu’un sot. C’est pourquoi le pays s’appelle à présent ” Le Sage Pays et le Sot Gouvernement “. Le roi a stipulé dans son testament que s’il se trouvait un homme assez sage pour pouvoir rendre au pays son nom d’autrefois, alors cet homme serait roi. Il dit à son fils que si cet homme se présentait, il devait lui céder le trône ; en comparaison de lui, tous les autres ne seraient en effet que des sots car il restituerait au pays son véritable nom, ” Le Sot Pays et le Sage Gouvernement”. Par conséquent, tu dois savoir à quelle tâche tu t’attelles.
Ils ajoutèrent :
- Voici comment nous allons déterminer si tu as la sagesse nécessaire pour cette mission : le roi, qui était un grand sage, possédait un jardin. C’est une merveille extraordinaire. Des vases en métal, en or et en argent y poussent ; c’est une véritable splendeur. Mais on ne peut pas y pénétrer, car dès qu’un homme entre, il est poursuivi sans répit. Il crie et il ne sait pas et ne voit pas qui le poursuit. On le

pourchasse et on le force à sortir du jardin. Nous allons donc voir si tu es un sage, si tu parviens à y pénétrer.
Il demanda si l’on frappait celui qui entrait. Ils répondirent :
- L’essentiel est qu’on le poursuit et qu’il ignore qui ; pris de panique, il doit alors s’enfuir. Ainsi racontent les hommes qui ont pénétré dans le jardin.

Telles furent les paroles que les ministres adressèrent au vrai fils du roi. Il se dirigea vers le jardin et vit qu’un mur l’entourait. La porte était ouverte, non gardée ; en effet, le jardin n’avait nul besoin de gardiens car personne ne pouvait y entrer. Il se rapprocha, examina les lieux et vit près du jardin un homme, ou plutôt l’apparence d’un homme. Il regarda d’un peu plus près et remarqua une plaque au- dessus de l’homme sur laquelle était écrit qu’il avait été roi pendant des centaines d’années et que son règne avait été pacifique. Avant et après son règne, il y avait eu des guerres ; mais pendant celui- ci, la paix seule régnait.

Comme il était expert en raisonnement, le jeune homme comprit que tout dépendait de cet homme. Lorsqu’on entrait dans le jardin et qu’on était poursuivi, il ne fallait pas s’enfuir, mais se placer à ses côtés et l’on était sauvé. Qui plus est, en prenant cet homme et en le plaçant dans le jardin, n’importe qui pouvait y entrer en paix. Il comprit tout cela grâce à son art de raisonner. Il pénétra dans le jardin. On se mit aussitôt à le poursuivre. Il partit se réfugier près de l’homme qui était au-dehors et grâce à cela il sortit sain et sauf. Les autres hommes entrés avant lui et que l’on avait pourchassés, s’étaient enfuis, pris de panique, et avaient été frappés à cause de cela. Mais lui en était sortit sain et sauf pour s’être placé près de cet homme.

Les ministres avaient tout vu et s’étonnèrent qu’il fût sorti en paix. Il donna l’ordre de prendre l’homme et de le placer dans le jardin, ce qui fut fait. Puis tous les ministres y entrèrent à leur tour, se promenèrent et ressortirent sans encombres. Ils dirent au jeune homme :
- Nous avons vu tout ce que tu as accompli. Toutefois, nous ne pouvons pas t’accorder la royauté, à cause d’une chose. Nous allons te faire subir encore une épreuve. Le roi avait un trône. Il est très haut. A côté de ce trône, se trouvent des bêtes sauvages et des oiseaux taillés dans le bois. Devant le trône, il y a un lit. A côté du lit, une table. Sur la table il y a une lampe. Du trône partent des chemins pavés. Ils partent dans toutes les directions et sont longés par des murs. Personne ne connaît la signification du trône et des chemins. Ces derniers mènent vers l’extérieur, et à quelque distance se dresse un lion en or ; et si un homme s’en approche, il ouvre la gueule et le dévore. Le chemin continue au-delà du lion. Et il en est de même pour tous les chemins qui partent du trône. Par exemple, un chemin part de celui-ci, s’étire dans une direction et à quelque distance se dresse une autre bête sauvage, un léopard de fer. Et on ne peut pas s’en approcher pour la même raison que l’on ne peut s’approcher du lion. Il en est ainsi pour tous les chemins qui s’étirent et traversent le pays entier. Nul ne connaît la signification du trône, des chemins et des objets. Voilà en quoi consistera l’épreuve que nous allons te faire subir : découvrir la signification du trône et de tous les objets.

On lui indiqua le trône et il remarqua qu’il était très haut. Il s’en approcha, l’examina et vit qu’il était fait du même matériau que l’instrument offert par l’homme de la forêt. Il regarda plus attentivement et remarqua qu’une sorte de rose manquait au sommet du trône. S’il trouvait cette rose, alors le trône aurait le pouvoir de l’instrument qui se mettrait à jouer lorsqu’on le posait sur le dos d’un animal. Il regarda encore et s’aperçut que la rose manquante se trouvait sous le trône. Si on la ramassait et si on la replaçait en haut du trône, celui-ci aurait alors le pouvoir de l’instrument. En effet, l’ancien roi avait tout fait et tout arrangé avec sagesse, afin que l’on ne comprît pas ce qu’il avait voulu signifier, jusqu’à ce que vienne un homme d’une sagesse si grande qu’il pourrait trouver et deviner comment tout changer et tout remettre dans l’ordre qui convenait. Quant au lit, il comprit qu’il fallait le pousser légèrement, ainsi que la table, la lampe, les animaux et les oiseaux. Il fallait prendre tel oiseau et le mettre ailleurs. Puis remettre tous les objets à leur place. Le roi avait en effet tout organisé avec sagesse afin que l’on ne sût pas ce qu’il avait voulu signifier avant l’arrivée d’un sage capable de comprendre qu’il fallait tout réordonner convenablement. Il fallait déplacer le lion qui se trouvait au commencement du chemin ; et ainsi de toute chose. Il ordonna que tout fût remis en ordre comme il le fallait. Il convenait de ramasser la rose et de la remettre au sommet du trône, déplacer chaque objet et le remettre à sa place. Lorsque tout fut terminé, tous les objets se mirent à jouer la merveilleuse et extraordinaire mélodie et tous accomplirent leur rôle.

On lui accorda la royauté. Il fit appeler le fils de la servante et lui dit : ” A présent, je sais que je suis le vrai fils du roi et que tu es le vrai fils de la servante. “

Autrefois, lorsqu’on parlait de kabbalah, on utilisait le langage de cette histoire. Elle est une grande merveille. Tout n’est qu’une seule et même chose : les bêtes,. le trône, le jardin, etc. Ce ne sont qu’une seule et même chose. Une fois cela s’appelle comme ceci, une autre fois comme cela.

L’explication de l’histoire est comme le trône que le roi a fabriqué, dont l’essentiel est la sagesse. Il faut savoir tout remettre en ordre. Celui qui est très versé dans les livres saints et qui est un véritable sage peut comprendre l’explication. Mais il faut savoir remettre tout dans le bon ordre. Car parfois la chose porte un nom, parfois elle en porte un autre. Heureux celui qui méritera de comprendre cela. Tout cela, le Rebbe, alav hashalom, en a parlé après avoir raconté l’histoire.

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